Cap Tainaron: Un séjour au bout de toute terre

Il y a quelques semaines, je me suis retrouvé avec des amis à me promener autour du cap Tainaron, l'un des endroits les plus beaux, surprenants et isolés de la péninsule de Mani, dans le sud du Péloponnèse.

J‘y étais déjà allé avant, lorsque j’ai eu la chance de montrer cet endroit à certains de nos invités, mais cette fois, c’était particulièrement mémorable car l’idée est venue de nulle part. Ma précédente visite était également inoubliable, car elle avait eu lieu pendant l’été et nos invités et nos enfants avaient particulièrement apprécié les magnifiques rives, l’eau et les délicieux fruits de mer frais.

Village de Vatheia Crédit Photo: Oleg

Cap Tainaron : Hors des sentiers battus et si spécial

Le cap Tainaron ou cap Matapan est situé à l’extrême sud du Péloponnèse, c’est-à-dire de la Grèce continentale, et c’est un lieu d’une immense beauté. Il n’y a qu’une seule voie d’accès, serpentant et traversant les célèbres villages pittoresques et maisons-tours de Mani, construits avec de la pierre extraite localement, une pratique observée depuis des milliers d’années. Ici, le paysage est si spectaculaire: la pierre et la terre volent la vedette, la végétation basse et les montagnes nues s’élevant au-dessus de la mer bleue, offrant des vues à couper le souffle au bout de toutes les terres – une région rocheuse, sauvage et préservée, une beauté à voir.

Cap TainaronCrédit Photo: Franco Pecchio

Outre les paysages éblouissants, Tainaron est également connu depuis l’antiquité pour deux autres raisons. Tout d’abord, c’était le lieu de culte pour le dieu de la mer Poséidon Tainarios. Un paysage pas très inhabituel pour le Seigneur des mers, qui était souvent vénéré sur des promontoires (comme le Cap Sounion près d’Athènes) et sur des sites importants pour les marins, généralement en dehors des villes. Deuxièmement, c’était Tainaron l’Oracle des Morts, la maison d’Hadès, l’une des entrées les plus importantes des Enfers – ce lieu est exceptionnel.

Communiquer avec les morts

Les Grecs de l’Antiquité croyaient en la vie au-delà de ce monde – les Enfers, le royaume gouverné par Hadès et sa célèbre épouse Perséphone, où seuls les morts pouvaient aller. Ils pensaient également pouvoir voir, entendre et éventuellement communiquer avec les morts. Mais pour ce faire, c’est-à-dire pour appeler un fantôme, ils devaient se rendre dans un endroit spécifiquement dédié à des choses aussi étranges, un oracle des morts. Les performances de la nécromancie et des rites d’évocation sont décrites dans de nombreuses sources littéraires, mythes et tragédies grecques, notamment les prophéties, l’incubation (sommeil assisté par une substance) et le rêve lucide.

Ainsi, le cap Tainaron fait partie de ces sites très inhabituels où l’on est témoin d’un «temple semblable à une grotte» ou, il serait peut-être préférable de dire, une «grotte semblable à un temple» est devenue le lieu d’histoires et d’événements qui ont suscité une fascination pour ce monde et la vie dans l’au-delà. Au bout de ce promontoire, Hercule tua Cerberus, le chien à trois têtes d’Hadès, avec son arc, tandis qu’Arion, le meilleur chanteur de son temps, fut sauvé lorsqu’un dauphin le porta à terre.

Hydrie représentant Héraclès, Cerbère et Eurysthée (Louvre)Crédit Photo: Lucas

«Il [Hercule] a quitté son palais pour libérer le monde des monstres sauvages [….] Il a accomplis beaucoup de travaux, et le dernier fut de passer par la bouche de Taenarus dans les salles d’Hadès pour traîner vers la lumière trois corps, et de là il n’est jamais revenu »

(Euripide, Hercule, 20-25, 424 avant notre ère)

Aujourd’hui, il n’y a qu’une petite chambre dans une grotte avec des piliers et les cicatrices des coupes situées près de la côte. Au sommet de la colline, une petite église paléochrétienne se dresse au sommet des vestiges du temple de Poséidon où des dizaines de votifs en bronze ont été retrouvés enterrés.

Lors de cette dernière visite, j’ai descendu la colline avec mes amis en pensant que presque aucun éléments n’existe pour rappeler les anciens festivals, où des danses et des jeux se jouaient sur la plage, ni le sanctuair où «les morts peuvent être vus» . J’ai décidé de rester un moment à mi-chemin de la colline avant de monter dans la voiture. J’ai opté pour un point de vue qui s’étend sur des kilomètres, compte tenu de la spiritualité grecque antique et des limites entre la vie et la mort. Tainaron est un endroit tellement déroutant, c’est le bout du monde!

Sur le chemin du retour, je me suis souvenu de la célèbre description d’Eschyle  sur la reine perse Atossa, évoquant le fantôme de son défunt mari, le roi Darius, après la défaite perse lors de la «terrible» bataille de Salamine en 480 avant notre ère.

«Maintenant, dans mon cas, tout semble plein de terreur; […] Telle est ma consternation devant les mauvaises nouvelles qui terrifient mon âme. C’est pour cette raison que je suis venu ici […] et apporter, comme libations propitiatoires pour le père de mon fils, des offrandes qui apaisent les morts, à la fois du lait blanc, agréable à boire, d’une vache sans tache, et du miel brillant, distillation fabriqué à partir de fleurs par l’abeille, avec l’eau lustrale d’une source vierge […] Mais venez, mes amis, chantez des chants solennels pendant que je fais ces libations aux morts, et invoquez l’esprit divin de Darius, tandis que je transmets, en honneur des dieux, ces offrandes pour la terre à boire.”

(Eschyle, les Perses, 600-620, 472 avant notre ère)

Liens

Cerberus: https://en.wikipedia.org/wiki/Cerberus

Arion: http://demonax.info/doku.php?id=text:arion_poems

Auteur: Nota Karamaouna (archéologue et guide agréé)