Le site de Kerameikos, à la périphérie de la ville antique et à quelques mètres au nord de l’ancien marché, est l’un des cimetières historiques les plus célèbres et les plus importants du monde antique. C’était un immense cimetière de la fin de l’âge du bronze, disons avant 1200 avant notre ère et la création de la ville antique elle-même, jusqu’à la période romaine dans les premiers siècles de l’ère commune. À cet endroit, les Athéniens de la période classique (5ème siècle avant notre ère) ont développé un système de routes bordées de murs et d’un ensemble exceptionnel de monuments funéraires.
Des statues de guerriers morts, des figures de deuil en relief et d’énormes vases en marbre ont été placés et conçus pour avoir une grande visibilité pour ceux qui entrent et sortent de la ville. Cela forme une exposition en plein air avec des exemples des plus belles sculptures funéraires grecques antiques.
Sur l’image, il s’agit d’un relief funéraire en marbre très bien construit et somptueux en forme de temple, où le fronton au sommet est soutenu par deux murs, fournissant ainsi un cadre et créant un espace approprié autour des personnages.
La femme assise est bien sculptée : en sandales, boucle d’oreille, une robe drapée incroyable et un voile qui glisse vers le bas et sur l’arrière de sa tête. Une main repose sur le dossier de la chaise et tient un oiseau. De l’autre main, elle enveloppe le bébé avec une grande affection. Il tend sa petite main vers elle. Les deux personnages sont décrits de manière réaliste et avec un fort sentiment de tendresse et chaleureux. À première vue, nous supposerions qu’il s’agissait d’une mère et de son enfant, mais l’inscription gravée au-dessus de la scène nous informe que ces personnages représentent une grand-mère et un petits-enfants, tous deux morts:
« Je tiens le cher enfant de ma fille, que je tenais sur mes genoux, quand nous étions vivants et que nous regardions les rayons du soleil avec nos yeux. Et maintenant étant mort, je le tiens mort ».
Bien que l’on ne sache pas exactement quand ils sont morts et ce qui l’a causé, il est fort probable que ce soit l’épidémie de la peste qui a atteint la ville d’Athènes en 430 avant notre ère.
Mais continuions !
Les années entre 431 et 421 avant notre ère ont marqué une période sans précédent de l’histoire d’Athènes. La ville sous la direction du grand homme d’État athénien Perikles [1] avait déjà accompli une partie du programme de construction de l’Acropole (Parthénon inclus) célébrant les grandes victoires passées contre les Perses et sa suprématie sur le reste des cités-États grecques, ennemies et semblables. Cependant, en 432 avant notre ère, à mi-chemin d’une paix de trente ans conclue par les deux grandes puissances grecques, Sparte (la principale rivale d’Athènes) a voté en faveur de la guerre contre Athènes. À ce moment-là, Perikles a convaincu tous ceux qui vivaient à l’extérieur des murs de la ville et à la campagne de s’y déplacer pour une meilleure protection. Thucydide [2], le grand historien athénien du 5ème siècle avant notre ère, nous a dit que «les gens étaient profondément troublés et affligés d’abandonner leurs maisons, mais aussi leurs sanctuaires de campagne».
Les deux étés suivants de 431 et 430 avant notre ère, le roi spartiate a conduit son armée à Athènes et a envahi la ville; cet événement marqua le début de la guerre calamiteuse qui a divisé les Grecs pendant les prochaines décennies, à savoir la fameuse guerre du Péloponnèse [3].
La peste est arrivée à Athènes peu de temps après. Pour la ville, ce fut le pire moment de la première décennie de guerre et finalement de toute son histoire. L’épidémie a tué des milliers et des milliers de citoyens athéniens et leurs familles, et a duré environ 2 ans. Les pertes sont clairement attestées dans les sources littéraires qui mentionnent que les Athéniens ont perdu 4 400 hoplites (fantassins/artilleries), 300 cavaliers et «un nombre indéterminable de gens du commun». En d’autres termes, nous estimons qu’entre 430 et 426 avant notre ère, Athènes a perdu un tiers de sa population masculine, soit environ 15 000 citoyens. On ignore en outre combien de femmes, d’enfants, d’étrangers et d’esclaves athéniens sont morts de la maladie. Perikles mourut aussi de la peste et sa mort fut sans doute un tournant dans la politique athénienne et, par extension, dans la guerre et dans toute la société.
Pendant le dernier quart du Ve siècle avant notre ère, les femmes et les enfants sont devenus un thème majeur de la pensée athénienne. Un intérêt accru pour les festivals, les pièces de théâtre et les décrets promouvant la maternité démontre clairement qu’ils ont soudainement réalisé à quel point les générations futures seraient importantes pour l’avenir de leur ville.
La même préoccupation chez les enfants apparaît également dans l’art funéraire athénien, en particulier sur les monuments funéraires en marbre et les vases funéraires. On estime qu’environ 40% de toutes les pierres tombales sculptées datant entre 430 et 400 avant notre ère montrent des enfants, et la majorité représente de jeunes garçons.
Notre dernier exemple (image ci-dessous), exécuté vers 420 avant notre ère, représente une jeune femme tenant un oiseau vers son très jeune frère, presque un bébé, qui tend la main pour le saisir. Les deux enfants ont pu être décédés ensemble ou à des moments différents. Cette pierre tombale a été installée plus tard par leurs parents endeuillés. L’image et l’inscription reflètent toutes deux l’émotion et la détresse concernant la perte des enfants, qui avaient quitté leur maison pour celle d’Hadès.
La guerre, la peste et éventuellement la mort peuvent influencer toute société. Pour les anciens Athéniens, perdre un quart de la population masculine pendant la guerre du Péloponnèse était un problème qui ne pouvait pas être résolu rapidement. Par conséquent, la perte d’un enfant dans ces circonstances était particulièrement dévastatrice et était désormais devenue extrêmement importante pour l’avenir de leurs ménages et pour leur ville également.
Par Nota Karamaouna
[1] https://en.wikipedia.org/wiki/Pericles